VERS UNE ESTHÉTIQUE DE L’ÉPIPHANIE

D’évidence, les rapprochements entre le décoratif selon Matisse, le baroque trans-historique de Deleuze, et le minimalisme, sont audacieux. C’est justement cette audace qu’il me semble important de souligner, afin de restituer l’ampleur du geste de J. Jouannais, en le replaçant dans le champ des interrogations contemporaines. En effet, sous des dehors de légèreté et de modestie, il importe de prendre acte de cette greffe courageuse et inédite qu’elle opère. En reprenant à son compte la critique minimaliste de l’objet-chef d’oeuvre, qui affirme l’identité de l’art dans ces procédures, J. Jouannais rejoue le retournement de l’oeuvre sur son pur dehors qui se dégage de tout idéalisme. A l’instar des grandes figures de l’art minimal, elle se prémunit de tout effet de fascination, vidant l’oeuvre de sa part de mystère, lui préférant l’ombre d’un éblouissement dans le tout visible. Pourtant, elle reste attentive à ne jamais faire tout à fait sienne l’affirmation de la seule façade, qui a pu parfois enfermer le minimalisme dans une raideur hiératique, parfois presque tyrannique. Au contraire, suturant sur le travail de façade la ligne décorative jouissante, qui ramène l’oeuvre à l’échelle du corps, elle s’inscrit sur le territoire de la désobéissance et de la fluidité du désir . L’enjeu décoratif se révèle alors dans toute sa charge transgressive et subversive, ouverte sur la réinvention illimitée de la danse des corps. Ce qui, par un joli retournement typiquement baroque, est la meilleure façon de rendre l’oeuvre insaisissable, voire, inconsommable.

A l’issue de ce parcours, apparaît doucement le gain véritable de cette traversée des héritages, qui diffuse une tonalité singulière sur toute l’oeuvre de J. Jouannais. De tendeurs en filins, de suspens en dépos instables, de macro en micro, son geste est tout entier tendu vers l’évocation d’un temps suspendu. Il y a quelque chose du fragment, de l’éclat scintillant, qui, à l’instar d’un arrêt sur image, procède d’une « explosante fixe » singulière. Une sorte d’esthétique de l’épiphanie parvient à capturer un effet de révélation, qui danse encore au-dessus de l’ensemble des propositions. Posant un rapport à la fugacité de l’instant, à la suspension de l’éblouissement, J. Jouannais compose une collection de temporalités cristallisées dans la chorégraphie de leur envol. Semblables à des morceaux d’ambre taillés qui auraient stratifié un temps lointain, à jamais insaisissable, l’oeuvre se compose en archipel de mémoire, pour lequel chaque pièce délivre la couleur de sa capture singulière.

Retenu entre libération et contrôle, le geste de J. Jouannais rejoue sous nos yeux la guerre de la compression et de la dilatation des corps, entre les étaux et les épiphanies du temps.

LA CONTRE-FORME MINIMALE

Embrasser le territoire artistique de la jonction des XXème et XXIème siècles comme tente de le faire le travail de J. Jouannais, oblige nécessairement à dialoguer avec le vocabulaire des Avants-Gardes qui en ont bâti l’horizon.
Fonctionnant comme la contre-forme du parfum utopiste qui a enveloppé les deux guerres, la fin du XXème siècle voit émerger des postures politiques, économiques et artistiques qui résistent à la foi messianique dans les progrès de l’humanité, travaillant plutôt à dresser la muraille du désenchantement. Sur un mode souvent mélancolique, émergent des approches épurées de toute psychologie des profondeurs, de toute séduction spirituelle ou mystique. Un temps qui donnera naissance à des pratiques strictement matérialistes et individualisées, valorisant les procédures techniques et les enjeux conceptuels purs. Figures phares, de ces positionnements artistiques, les artistes minimalistes synthétisent ce mouvement d’inscription dans la concrétude des matériaux et des protocoles de production. On comprend facilement qu’une telle mise à distance des effets de charme et d’incertitude ait, dans un premier temps, porté les artistes minimalistes à s’éloigner des découvertes de Matisse relatives aux questions décoratives. Plus que jamais, tendue entre artifice inutile, et puissance hypnotique capable de générer un vide actif aux limites de la transe optique, le décoratif -fut-il celui, trans-baroque, construit par un Matisse-, a été dans un premier temps tenu en respect.

Dans le même esprit de radicalisme, faisant retour sur une posture dadaïste qui attaque l’oeuvre- objet, les minimalistes entendent déconstruire la définition idéaliste et atemporelle de l’art qui, même quand elle s’envisage comme critique de la société consumériste, finit toujours par générer des objets d’art à vendre. Leur critique s’articule à l’idée classique selon laquelle l’oeuvre serait toujours une entité qui conjugue un dehors visible et une intériorité psychologique ou sacrée, mystérieuse et attractive. Tout leur projet consistera à systématique ouvrir l’oeuvre, afin d’en destituer l’illusion d’intériorité, pour ne plus l’envisager qu’à partir de ses procédures extériorisées strictement formelles.

A l’origine du retournement qui va opérer un rapprochement imprévu entre l’austérité minimaliste et le décoratif revisité, nous pouvons instaurer un constat : quand les minimalistes entrent en scène, c’est pour se poser, dans le champs du volume ou de l’architecture, des questions proches de celles mises en place par Matisse. A partir des figures motrices de la Colonne sans fin de Brancusi, ou du Grand Verre de Duchamp, il s’agit d’inventer une sortie de l’impasse héritée de la sculpture classique, qui affirme une hiérarchie entre le socle et la figure, ou le bâti et le vide déambulatoire. La dévalorisation du socle ou du vide spatial rejouant, dans ce cadre, les questions de Matisse autour de la dévalorisation du décors… Les recherches minimalistes vont souvent parier sur une hybridation égalitaire du socle et de la figure, passant soit par l’inscription in situ dans le contexte architectural d’exposition ou dans le paysage, soit par la mise en évidence d’une homogénéité des protocoles de production entre figures et socles, soient encore par une mise en scène des matériaux uniformes ou disjoints de l’un et de l’autre. Mais, dans tous les cas, il sera toujours question de faire exploser la référence obligée à l’objet-chef d’oeuvre, qu’il soit figure, ready made, pop, recyclé ou bricolé. Nous retrouvons ici la part implicite de l’approche volumétrique de J. Jouannais, telle qu’elle apparaît immédiatement, dès la première rencontre, qui pose fermement une lutte tendue contre la constitution du volume en objet. Qu’il s’agisse des masses, des lignes ou des couleurs, qu’il s’agisse des effets de gravité ou de suspension, qu’il s’agisse de l’articulation des vides et des pleins, toute l’énergie profonde des œuvres de J. Jouannais interdit au visiteur-spectateur la reconnaissance de l’objet. Aucun usage, ni aucune figure, ni aucune mémoire n’y sont jamais repérables. Reste à comprendre, précisément, ce que ces volumes parviennent pourtant à capturer, sur le mode d’une cristallisation inédite…

En replaçant ces projets en regard du décryptage enmonadefaçade de l’oeuvre par Deleuze, nous retrouvons le point d’ancrage qui permet à J. Jouannais de construire un grand écart entre Matisse et et le minimalisme. Plus encore, c’est à ses côtés que je lis dans l’insistance sur les protocoles de production d’un Sol Lewitt, par exemple, un travail d’encadrement de la part vacante du site architectural, qui vient maquiller d’une ligne contrôlée la charge d’insaisissable du volume spatial. Les pièces de feutre molles de R. Morris s’apparentent tout autant à une tension vers la façade décorative, dont la seule surface texturée cherche à se soutenir, privée de son armature interne. Les installations précaires des plaques d’acier de R. Serra, soulignant elles-aussi toujours la zone informelle de l’espace, disent pourtant très haut, tant leur mémoire industrielle du matériau, que la mise en crise par la précarité des équilibres de toute dimension d’éternité et d’intemporalité.

En effet, tout se passe comme si, au fil des expérimentations, l’enjeu de l’oeuvre minimale en venait finalement à se constituer en un pur art de façade, qui aurait absorbé la monade au point de la dissoudre dans le matériau et le protocole de production. Pures extériorités, feuilles de feutre, plaques d’acier, carreaux de cuivre, posent l’ambiguité d’une membrane qui ramène le plià un strict dépli, expansion de la texture-façade, manifestation de l’extériorité de la surface. Qu’il s’agisse de D. Judd, de C. André, de R. Serra ou de R. Morris, toutes les propositions semblent chercher à étirer les œuvres vers leurs dehors, comme s’il était question de les retourner comme des gants.
Comme en témoigne la fameuse liste-manifeste de R. Serra, l’inventaire des formes de la sculpture est finalement rabattue sur les seuls modes opératoires : « Rouler, plisser, plier, courber, raccourcir, tordre, tacheter, ébarber, déchirer, fendre, couper, sectionner, lâcher, attraper… ». Autant de verbes qui fondent l’oeuvre en pure procédures, c’est-à-dire pure extériorité, pure implantation concrète… bref, pure façade. Semblable à une danse, le protocole de production se résume en une variation de passes, de figures gestuelles qui rejouent la chorégraphie des origines en une Grapho-Choreinscrite dans la masse matérielle. On peut reconnaitre dans l’oeuvre de J. Jouannais la métamorphose de ces expérimentations, qui avaient donné naissance à une scène sculpturales monumentale, radicale, parfois poussée vers l’extériorité jusqu’à une collision complète avec le paysage. Mais ici, s’appropriant ouvertement le filtre d’un décoratif revisité, les procédures de production mutent, générant un univers à échelle humaine, qui provient d’une projection du corps dans la masse, et de son retour par l’imaginaire du visiteur-spectateur.

LA PERTINENCE DÉCORATIVE

C’est par ce retour du pli baroque qui articule façade et monade, frontalité et imaginaire, que la question du décoratif fait retour dans l’oeuvre de J. Jouannais. Car, l’autre évidence qui s’impose à l’approche de ce travail, est la prise en charge déterminée de l’enjeu décoratif. Lignes courbes, stratégies modulaires, arabesques en suspension, et couleurs fraiches posent un charme qui ne fait pas le détour de sa séduction.

Pourtant, la familiarité du XX ème siècle avec l’esthétique des Avants Gardes Construites a laissé une approche dégradée du principe décoratif, avec laquelle le travail de J. Jouannais n’hésite pas à entrer en confrontation. Le plus souvent apparenté à l’anecdote inutile qui rabat l’oeuvre à un statut de divertissement bourgeois, non universel et futile, le décoratif dépossèderait l’oeuvre de sa dimension conceptuelle, dynamique et subversive. Le décoratif a longtemps été envisagé du côté du féminin et du maquillage de surface, comme porteur d’une séduction mensongère, voire d’illusions toxiques. Il faudra attendre le positionnement ouvertement latéral de Matisse, pour voir émerger un autre regard sur les enjeux du décoratif, ici revisité par les propositions de J. Jouannais.

Quand Matisse entre sur la scène de l’art, c’est pour mettre en crise, aux côtés de Picasso, l’héritage classique du tableau qui pose une hiérarchie entre le fond du décors, et la figure narrative. Le décors est du côté du frontal, de la surface, de l’anecdote ou du contexte… c’est à dire du côté de la façade. Dans le même esprit, la figure est du registre du sujet, du profond, du secret essentiel, autant dire de la monade. Il importe alors de revivifier le tableau classique sclérosé, en envisageant une stratégie qui, à l’instar du pli baroque, recomposerait des liens d’égalité dynamique entre décors-façade et sujet-monade. La question principale qui se pose est celle d’un va-et-vient énergétique entre fond et forme, qui n’en passe pas nécessairement par un abandon radical de la figure et une bascule dans la seule abstraction, vécue par Matisse comme le point limite des Avant-Gardes.

C’est à l’occasion d’un voyage au Maroc que Matisse découvre l’arabesque, fondement esthétique essentiel de l’articulation entre visible et invisible dans l’Art Oriental. Matisse prend immédiatement la mesure de la complicité entre le volume architectural et l’arabesque décorative. Posant sa capacité à fusionner décors et figure, l’arabesque orientale fait littéralement voler en éclats les antagonismes modernes de l’abstrait et du figuratif. La ligne orientale, longtemps tenue à distance, va ainsi faire retour sur la scène de l’Art Occidental par les tramages de nappes, papiers peints, modèles

sculpturaux posant à l’atelier, ou paysages remontant frontalement dans les cadres de fenêtres de Matisse. Allant et venant sans interruption du fond du décors aux sujets de premier plan, elle diffuse une complicité entre les strates du tableau, instituant celui-ci dans une frontalité massivement décorative. Se faisant, la ligne orientale fait remonter le tableau sur le mur, avec lequel il compose une dialectique spatiale. Mur et tableau ainsi noués l’un à l’autre, projettent dans l’espace vide architectural qu’ils encadrent une vitalité inédite, qui sera tout l’enjeu du projet décoratif : faire exister le vide comme une présence, sujet principal de l’oeuvre qui lui sert d’écrin. Fort de cette découverte, depuis la série des muraux de la Danse, jusqu’à la Chapelle de Vence, Matisse va mettre en chantier une série de recherches, qui seront l’occasion d’expérimenter ces rapprochements entre peinture et architecture.

Or, ce sont précisément ces expérimentations, qui permettront à Matisse de définir les caractères de la ligne décorative, que l’on repère aujourd’hui dans les propositions de J. Jouannais.
La logique décorative se fonde sur un ou plusieurs schèmes, qu’elle répète dans une alternance régulière, que l’on peut apparenter à une partition musicale sérielle. Cette logique, poussée dans ses ultimes retranchements, se retrouve dans les propositions de J. Jouannais, qui entremêlent des variations de schèmes, comme si elles tricotaient un écheveau de lignes décoratives multiples. De plus, la ligne décorative va et vient sans cesse entre les deux états de la ligne que sont le schème frontal du décors, et le dessin de la figure. Or, dans le travail de J. Jouannais, un tour de force singulier lui permet de traiter la ligne, tant par la projection spatiale des volumes, que par le traitement pictural des aplats en suspension, des recto-verso des papiers suspendus, ou par les tranches et lignes d’ombres des pièces émaillées. Si bien qu’elle parvient toujours à bâtir une combinatoire entre les deux états de la lignes décorative et de la ligne traçante. Puis enfin, caractéristique majeur du projet décoratif, il s’agit toujours de générer le vide spatial, de le diffuser, de l’activer, en le cernant d’un tracé qui fonctionne comme un maquillage révélateur. Ce faisant, la ligne décorative produit un phénomène d’enveloppement du spectateur-visiteur de l’oeuvre, qui se trouve comme immergé dans un espace imaginaire. C’est à nouveau, ici, une des grandes forces que nous avons déjà souligné de l’oeuvre de J. Jouannais, que de pouvoir embarquer le regard du spectateur dans une chorégraphie volumétrique, spiralée, dégagée des limites de la gravité, et de l’organisation axiale.

Cette même capacité à générer un centre imaginaire au cœur d’un cerne qui en intensifie la frontière était justement apparu à Matisse, alors qu’il travaillait au projet de la Dansede Moscou. Il raconte : « Lorsqu’il m’a fallu composer une Danse pour Moscou, j’ai simplement été au Moulin de la Galette le dimanche après-midi. Et j’ai regardé danser la Farandole qu’il y avait souvent en fin de séance. Cette Farandole était très gaie. Les danseurs se tiennent par la main, courent à travers la salle, entortillent les gens qui sont un peu égarés. » C’est à la faveur de l’énergie spécifique de la danse, de l’énergie graphique originaire qu’elle développe dans l’espace, que Matisse repère la charge subversive, désobéissante et imprévisible de son ondulation, capable de générer de l’immensité dans la limite. Par cette ligne dansante qui trace l’autour de l’espace pour mieux le désigner, Matisse comprend qu’il peut « donner dans un espace limité, l’idée de l’immensité ». C’est dire si cette ligne orientale, qui travaille le module comme la danse travaille les corps, qui intensifie la danse à la limite de la transe, est porteuse d’une énergétique implosive. Générant un effet d’égarement qui transgresse les frontières et provoque le décentrement, elle s’impose comme étant la ligne de la jouissance même, que les Avants-Gardes ont tellement souhaité placer sous contrôle.

DE L’AÉRIEN À L’ENCLOS

Ce n’est qu’à l’issu d’un premier effet de charme déambulatoire, que l’oeuvre dénude ses tensions, révélant des antinomies tranchées, qu’il importe finalement de pointer comme autant d’articulations noueuses.
L’un des premiers paradoxes de l’oeuvre de J. Jouannais tient dans le commerce qu’elle entretient entre masse et légèreté. Qu’il s’agisse des pièces de papier, sortes de dentelles de peintures éclairant la densité du mur qui les appelle par aimantation contraire, des découpes en suspension qui suggèrent un volume spatial visitable en regard, ou des micro-organismes de céramiques qui oscillent entre excitation des textures et imaginaire de la maquette, la concrétude matérielle et la masse de l’oeuvre sont toujours comme mises en scène, presque chorégraphiées. Je pense par exemple aux effets de rafistolage sur les points de brisures ou de fragilité, qui ne sont jamais dissimulés. Je repère aussi la vivacité de certaines entailles qui auraient fait fausse route et dont les reprises ne sont pas effacées. Ou encore, bien sur, tout le vocabulaire des tendeurs, filins, pinces de soutient, estrade-socles, qui sont là comme un rappel à l’ordre de la matérialité du travail, de sa nécessaire conjugaison à la gravité.

Et pourtant, dans le même élan, des processus d’allégement allant parfois jusqu’à la membrane ou la trame, s’entêtent à contrarier systématiquement les masses, produisant un effet de dématérialisation qui transforme le spectateur en visiteur virtuel. Si bien que, entre chutes et élévations, une tension s’installe, joue des compressions et dilatations, chorégraphie les scansions entre abandons et rigidités, obligeant le visiteur à renégocier sans cesse la trajectoire virtuelle qui dessine son paysage

imaginaire.
Cette ambivalence entre effondrement et envol en appelle une autre, qui serait plutôt de l’ordre d’une conjugaison entre intériorité et extériorité. En poursuivant notre déambulation onirique entre macro et micro, un vocabulaire organique se déploie dans un jeu d’enveloppes ajourées, d’épidermes tramés. Mais tout autant, les arrêtes vives induisent des sortes d’exosquelettes qui auraient été excavés de leur mollesse organique. Du dur au mou, de l’enveloppe à la structure, de la peau à l’os, les pièces de J. Jouannais sont autant d’écorchés ambigus, dont on ne sait plus très bien ce qu’ils mettent à vif ou enveloppent. En effet, os et peau, surface et structure, s’hybrident dans un travail de lamés bifaces, qui permet toujours à l’oeuvre d’exister tant sur son recto que sur son verso. Du dedans au dehors, de la parade au dénuement, à nouveau le regard hésite et voyage en incertitude.
Il y a, dans cette danse en trois dimensions, une énergie qui oblige le regard du visiteur à concevoir pour lui même un monde où, chute et ascension, se conjuguent simultanément à la surface et la profondeur. Les lames flottantes, colorées recto et verso actant la stratégie du pli baroque, point d’articulation entre la dynamique verticale de la gravité et de l’envol, et celle, en épaisseur, du tramage et de l’intimité. Si bien que l’on retrouve dans l’oeuvre de J. Jouannais, quelque chose de la grammaire en façade et monade, telle que Gille Deleuze la repère dans l’esthétique du pli baroque. Là où la façade pose une pure extériorité verticalisée, pouvant aller jusqu’à une surface ajourée de résilles, la monade instaure une pure intériorité enveloppante, d’introspection imaginaire. Alors que le pli, ici la lame biface, est la zone médiane qui active la conjugaison entre monade et façade, il est du même coup l’énergie par laquelle l’infini se conjugue au fini, l’aérien à l’enclos, le décors à l’image.

GRAPHO-CHORE (QUAND LE DECORATIF REVISITE LE MINIMALISME)

A l’origine, il y aurait la danse.
 S’il fallait imaginer le premier matin du monde, alors que rien encore n’aurait été ni élaboré, ni bâti, il y aurait pourtant déjà la danse. Il y aurait l’espace ouvert, la masse corporelle de la conscience de soi, et l’exigence de tracer une porosité entre le dedans de l’un et le dehors de l’autre. Faisant modèles, y aurait la souplesse de l’encolure du cheval qui s’ébroue, les va-et-vient circulaires de l’oiseau qui charme, le déplacement latéral du crabe…