Texte Alain Monvoisin
Il étend la surface de son corps pour se
retrouver. Il renie la présence de lui-même pour se retrouver. Il vêt d’une chemise quelques
vides pour, avant l’autre Vide, un petit semblant de plein.
Henri Michaux, La Vie dans les plis.
« Wozu Dichter in dürftiger Zeit ? », interrogeait Hölderlin. A quoi bon des poètes en temps de manque ? C’est la première question que l’on pourrait se poser au vu des œuvres de Juliette Jouannais. En ces « sombres temps », disait Brecht, qui voient les artistes tenter de soulever le monde, à tout le moins le regard qu’on lui porte, qu’ils soient dans une esthétisation du politique ou une politisation de l’esthétique, à coups de piano blanc installé au milieu d’un camp de migrants (Aï Wei Wei) ou de portraits d’habitants sur les toits de favellas (JR). Avec plus ou moins de bonheur, entre mélancolie, légitimité, activisme, simple constat, allégorie, révolte ou opportunisme. Certes l’antagonisme entre l’autonomie de l’art et son engagement dans la sphère publique ne date pas d’hier, la chose n’est pas nouvelle, Delacroix, David, Picasso, Grosz, les exemples sont légions. Et lorsque la nature s’offre comme sujet, ou comme inspiratrice, ainsi chez Juliette Jouannais, c’est en un plaidoyer pour la cause environnementale, les arbres calcinés de Franz Krasjberg, les forêts pétrifiées d’Eva Jospin ou les ruines de Cyprien Gaillard. A côté, les œuvres peintes de Juliette Jouannais apparaissent comme des visions idéalisées d’une nature qui n’aurait d’autre réalité que celle de la mémoire, des fragments du paradis perdu. A chacun ses armes, ici sans doute l’adoption d’un angle de vue qui fait front à la bile noire et à la délectation morose. Pour autant, ancienne élève de César, ce n’est pas dans la tradition académique qu’elle puise sa stratégie artistique, c’est sans oublier les leçons de la modernité qu’elle élabore ses œuvres, qu’elles soient peintures planes, bas-reliefs, miniatures ou grands formats, sculptures au sol ou suspendues, ou encore céramiques, les unes s’accordant aux autres, ou s’en déduisant, par une logique rigoureuse ou de subtils glissements. Soutirer une portion de l’espace, lui en indexer une surface avec ses mesures approximatives, préciser la destination de l’œuvre à venir, plan, volume, ce n’est que sur cette matérialité que repose l’ouverture. Pour ce qui commande la suite, c’est l’improvisation, c’est la perception encore lointaine d’une forme matricielle et l’ignorance de ses conséquences, l’effleurement d’une image vague, d’un sentiment, cueillis lors de la traversée d’un champ ou de la contemplation d’une rive, la prévalence d’une projection qui n’est étayée que par la réminiscence de l’expérience et un présent sujet à la labilité des émotions. Tel est le fragile protocole auquel se soumet J. Jouannais. Pas d’esquisse donc, pas d’étude préliminaire directement associée à l’œuvre à venir, si l’on excepte l’exercice quotidien du carnet qui peut être le réceptacle de fugitivités ou de fulgurances expérimentales mais qui constitue un corpus à part entière.
Alain Monvoisin,
Paris, 2021