GRAPHO-CHORE (QUAND LE DECORATIF REVISITE LE MINIMALISME)

A l’origine, il y aurait la danse.
 S’il fallait imaginer le premier matin du monde, alors que rien encore n’aurait été ni élaboré, ni bâti, il y aurait pourtant déjà la danse. Il y aurait l’espace ouvert, la masse corporelle de la conscience de soi, et l’exigence de tracer une porosité entre le dedans de l’un et le dehors de l’autre. Faisant modèles, y aurait la souplesse de l’encolure du cheval qui s’ébroue, les va-et-vient circulaires de l’oiseau qui charme, le déplacement latéral du crabe…
Il y aurait le tempo des corps, qui projettent leurs lignes dans l’espace du monde. Très vite, pourtant, la chore-graphie des origines cède déjà la place à une énergie plus réflexive. La trace primant sur l’événement, la dynamique éphémère incarnée de la danse se prolonge dans une inscription projetée du corps dans la masse. De la danse, nait le volume, sorte de Grapho-Chore.
La première fois que je me suis glissée dessous, que j’ai surplombé, que j’ai contourné les grandes et petites pièces de Juliette Jouannais, cette Grapho-choredes origines semblait éclore doucement sous mes yeux. Nul objet, ni nul image ici. Tout se passait plutôt comme si le corps, reconnaissant sa propre danse native, se sentait capable de se couler dans les méandres spatiales qui lui étaient proposées, s’accordant à leurs contradictions tout à la fois enroulées et ouvertes, microscopiques et macroscopiques, enveloppées et dénudées. Il semblait qu’un organisme dansant et complice, échappant à la gravité, avait cristallisé en suspension, déployé, ou projeté au-devant du regard ses tracés fugitifs. Au cours de ce processus visionnaire plus virtuel qu’actuel, un corps rêvé nous était accordé, un corps qui perd son échelle et sa masse, un corps devenu momentanément fluide et métamorphique, capable de flotter dans un bain d’ambivalences résolues.