DE L’AÉRIEN À L’ENCLOS

Ce n’est qu’à l’issu d’un premier effet de charme déambulatoire, que l’oeuvre dénude ses tensions, révélant des antinomies tranchées, qu’il importe finalement de pointer comme autant d’articulations noueuses.
L’un des premiers paradoxes de l’oeuvre de J. Jouannais tient dans le commerce qu’elle entretient entre masse et légèreté. Qu’il s’agisse des pièces de papier, sortes de dentelles de peintures éclairant la densité du mur qui les appelle par aimantation contraire, des découpes en suspension qui suggèrent un volume spatial visitable en regard, ou des micro-organismes de céramiques qui oscillent entre excitation des textures et imaginaire de la maquette, la concrétude matérielle et la masse de l’oeuvre sont toujours comme mises en scène, presque chorégraphiées. Je pense par exemple aux effets de rafistolage sur les points de brisures ou de fragilité, qui ne sont jamais dissimulés. Je repère aussi la vivacité de certaines entailles qui auraient fait fausse route et dont les reprises ne sont pas effacées. Ou encore, bien sur, tout le vocabulaire des tendeurs, filins, pinces de soutient, estrade-socles, qui sont là comme un rappel à l’ordre de la matérialité du travail, de sa nécessaire conjugaison à la gravité.

Et pourtant, dans le même élan, des processus d’allégement allant parfois jusqu’à la membrane ou la trame, s’entêtent à contrarier systématiquement les masses, produisant un effet de dématérialisation qui transforme le spectateur en visiteur virtuel. Si bien que, entre chutes et élévations, une tension s’installe, joue des compressions et dilatations, chorégraphie les scansions entre abandons et rigidités, obligeant le visiteur à renégocier sans cesse la trajectoire virtuelle qui dessine son paysage

imaginaire.
Cette ambivalence entre effondrement et envol en appelle une autre, qui serait plutôt de l’ordre d’une conjugaison entre intériorité et extériorité. En poursuivant notre déambulation onirique entre macro et micro, un vocabulaire organique se déploie dans un jeu d’enveloppes ajourées, d’épidermes tramés. Mais tout autant, les arrêtes vives induisent des sortes d’exosquelettes qui auraient été excavés de leur mollesse organique. Du dur au mou, de l’enveloppe à la structure, de la peau à l’os, les pièces de J. Jouannais sont autant d’écorchés ambigus, dont on ne sait plus très bien ce qu’ils mettent à vif ou enveloppent. En effet, os et peau, surface et structure, s’hybrident dans un travail de lamés bifaces, qui permet toujours à l’oeuvre d’exister tant sur son recto que sur son verso. Du dedans au dehors, de la parade au dénuement, à nouveau le regard hésite et voyage en incertitude.
Il y a, dans cette danse en trois dimensions, une énergie qui oblige le regard du visiteur à concevoir pour lui même un monde où, chute et ascension, se conjuguent simultanément à la surface et la profondeur. Les lames flottantes, colorées recto et verso actant la stratégie du pli baroque, point d’articulation entre la dynamique verticale de la gravité et de l’envol, et celle, en épaisseur, du tramage et de l’intimité. Si bien que l’on retrouve dans l’oeuvre de J. Jouannais, quelque chose de la grammaire en façade et monade, telle que Gille Deleuze la repère dans l’esthétique du pli baroque. Là où la façade pose une pure extériorité verticalisée, pouvant aller jusqu’à une surface ajourée de résilles, la monade instaure une pure intériorité enveloppante, d’introspection imaginaire. Alors que le pli, ici la lame biface, est la zone médiane qui active la conjugaison entre monade et façade, il est du même coup l’énergie par laquelle l’infini se conjugue au fini, l’aérien à l’enclos, le décors à l’image.